Sur l'amour. De la toute-puissance maternelle au manque dans l'Autre. Virginia Hasenbalg


Sur l’Amour
De la toute-puissance maternelle au manque dans l’Autre
Virginia Hasenbalg-Corabianu
Mathinée lacanienne du 6 avril 2019

Vous n’êtes pas sans savoir en tant que fidèles des Mathinées lacaniennes, que depuis 10 ans nous travaillons sur les mathématiques et la psychanalyse, et que cela a été la source d’inspiration du livre « De Pythagore à Lacan » que j’ai publié il y a trois ans. Ce livre correspond à l’idée que je m’étais faite de l’outil mathématique nécessaire à la compréhension de la psychanalyse lacanienne.
Mais la logique et l’outil mathématique ne sont pas là uniquement pour être décodés mais également pour être mis à profit dans la compréhension d’autres thèmes, comme celui par exemple, tenez vous bien, de l’amour, qui gagne à être abordé par le noeud borroméen.
J’espère que cela aiguisera votre curiosité. La tache ne sera peut être pas facile. Mais on se donnera le temps nécessaire.

Mon point de départ, ce qui a déclenché cette quête, est un passage sur l’amour dans la leçon 12 du séminaire à l’étude (Relation d’objet), passage qui est loin d’être univoque. Je vous dirai plus loin de quoi il est question.

En tout cas pour introduire cette question complexe, j’ai choisi ce titre « De la toute-puissance maternelle au manque dans l’Autre ». Il désigne ce que j’entends comme le franchissement dont il est question dans l’amour. Il s’agit aussi du passage que la psychanalyse rendrait possible pour celui qui s’y engage.

Ce séminaire nous met au travail sur des questions qui concernent ce que Lacan qualifie comme « primordial ». C’est le signifiant employé à cette époque de son enseignement pour désigner en quelque sorte le passage structurel d’une phase préœdipienne vers l’Oedipe et la castration, et ses aléas.

L’étape préœdipienne porte la marque d’une aliénation à l’Autre primordial, la mère, et ceci selon les possibilités offertes par les échanges entre la mère et l’enfant suivant la place occupée par le pénis et/ou le phallus.

J’aimerai rappeler à ce propos les deux schémas des premiers leçons, schémas qui illustrent et rendent perceptibles en quelque sorte quelques invariants sur lesquels vont s’accommoder les possibilités combinatoires décrites par Lacan.

L’un c’est le ternaire mère, phallus et enfant dont il nous dira dans un deuxième temps que le père est chargé d’en maintenir la distinction.

L’autre, le schéma L, avec lequel Lacan insiste sur le leurre à l’oeuvre dans tout travail analytique qui se contente d’opérer sur l’axe imaginaire a-a’, méconnaissant par là les lieux de l’Autre et du sujet reliés par le Symbolique lui-même. Le Symbolique se voit ainsi voilé, empêché par l’effet de trappe propre à l’imaginaire spéculaire.

Je le résumerai ainsi : à partir d’une première jubilation devant sa propre image unifié dans le miroir, le sujet à venir reste attrapé par cette image de lui-même, qui, en dehors de lui-même, devient apte et nécessairement prompte à être occupé par quelqu’un d’autre, celui qui se trouve en face de lui.
Rappelez vous le passage de Saint Augustin lorsqu’il décrit les sentiments douloureux de l’enfant face au petit frère nourrisson occupant la place qu’il avait occupé lui-même auparavant dans les bras de sa mère.

Cet autre devient du coup usurpateur, rival et déclencheur de l’agressivité que nous savons.
Mais il sera aussi à la merci des sentiments amoureux dès que le narcissisme mettra en place un jeu de séduction qui va opérer pour « faire croire » à l’autre, au petit autre, que moi, ou lui est cet objet ou cette image qui a pu faire miroiter un jour, dans le passé lointain, l’objet merveilleux d’une identification primordiale à soi-même.

La dimension leurrante de ce sentiment amoureux n’est pas à démontrer.
Il est par contre intéressant de voir comment Lacan déplie une série de possibilités de cette enjeu imaginaire en faisant entrer dans le jeu, toujours imaginaire et préœdipien, la place et la fonction du phallus imaginaire.
Il est curieux de voir la description détaillée que fait Lacan sur la manière dont un homme et une femme peuvent se blottir l’un contre l’autre, laissant entendre par là que l’un ou l’autre serait celui qui est, ou celui qui a, ce qui complèterait l’autre. Et j’ajoute, en s’endormant.
Tout en étant clairement un enjeu imaginaire, c’est un tout petit peu surprenant cette dénonciation d’un enjeu imaginaire qui relèverait aussi, quand même, à mon avis, de la tendresse humaine. (ref)
Je dis cela en passant, parce que c’est à réfléchir, et je me dis que peut être Lacan était jeune à l’époque, et qu’il avait hâte de dénoncer l’imaginaire dont il fallait se débarrasser par une symbolisation opportune qui mette en place le désir. C’était aussi son arme contre les dérives de la pratique analytique de son époque, dont il ne nous épargne pas ni les dérives ni les bavures.
On le comprend. En ceci il n’a pas tort!
Il y a pourtant dans ce séminaire une question sur de l’amour qui me travaille et questionne, dans la mesure où justement elle nécessite, à mon avis, d’être étudiée et clarifiée. J’avais essayé d’en dire un mot, d’aborder ce thème au cartel de préparation, mais sans succès. Alors je me suis remise au tango. J’ai fait donc un pas de côté, en relisant tout le séminaire, pour revoir comment Lacan articulait la toute-puissance maternelle au manque, comme condition de l’amour.
En grandes lignes, voilà le programme que je me propose à developper, avec votre bienveillance, j’espère.

Il s’agit en fait d’un passage à la fin de la leçon 12 du 6 mars, pages 361 et 362 de notre dernière version.
Je vais vous livrer une interprétation de ce passage tout de suite. Il est loin d’ être transparent et demeure assez incompréhensible, méritant d’être travaillée.
Après avoir longuement explicité la place de la fonction du père dans cette leçon 12, Lacan dit à peu près ceci:

 Dans toute la mesure où, au-delà de ce à quoi le père réel autorise…
Ce père fait rentrer la loi dans le choix objectal. Mais c’est au-delà de ce choix,

c’est au-delà de ce choix qu’il y a toujours dans l’amour ce qui est visé,
quelque chose est visé au-delà du choix objectal légal

c’est-à-dire non pas l’objet légal, ni l’objet de satisfaction, mais l’être,
le signifiant « être » apparaît à trois ou quatre reprises effectivement pour désigner la mère au-delà de sa condition d’objet : Page 308 …la relation d’amour avec tout ce qu’elle implique par elle même d’élaboré, non pas au second degré, mais au troisième degré, n’implique pas seulement en face de soi un objet, mais un être. (Page 316) Je vous ai parlé de la relation primitive à la mère, qui devient au même moment un être réel… la toute-puissance de cet être réel dont dépend, absolument et sans recours, le don ou le non-don…

l’amour est quelque chose qui, dans un être, est aimé au-delà de ce qu’il est, c’est quelque chose qui en fin de compte, dans un être est ce qui lui manque, (23 janvier 57)

c’est-à-dire, l’objet saisi précisément dans ce qui lui manque.

Si, au-delà de la mère comme objet, il y a situer la mère comme sujet, ce sujet frappé par le manque relèverait de l’être

C’est pour cela que nous voyons ne jamais se confondre l’amour et l’union consacrée…
L’union consacrée serait le mariage « institutionnalisé » selon le choix d’objet dicté par la loi du père. A ne pas confondre avec l’amour.

… C’est la structure même qui distingue la relation imaginaire primitive, celle par où l’enfant est introduit à cet au-delà de la mère, qui est ce que déjà par sa mère il expérimente de ce quelque chose par où l’être humain est un être privé et un être délaissé… C’est elle (la structure ?) qui fonde la distinction de cette expérience imaginaire et de l’expérience symbolique qui la normative mais uniquement par le truchement de la loi, et le fait que beaucoup de choses s’en conservent, qui ne nous permettent en aucun cas de parler de relation amoureuse comme relevant simplement de la relation d’objet. »

Voila ces phrases programmatiques… Ce que j’entends : L’amour serait à chercher au-delà de la loi qui normative le rapport entre les hommes et les femmes. Quelque chose perdure de ce rapport primordial à la mère au-delà de son efficace normativante et qui est colmaté par les équations résolutives de l’Oedipe. Lacan ne dit pas ici « hors » de la loi, mais au-delà de la loi, et en rapport avec quelque chose qui semble annoncer le manque à être, d’une part, et le fait que, si l’amour c’est donner ce qu’on n’a pas, c’est justement ce fait de structure qui rappelle que l’être humain, originairement est un être privé et délaissé. Une vérité de la structure ?

La question de l’amour est aussi bien évoquée que noyée dans ce séminaire autour du manque chez la mère. Lacan y revient à quelques reprises sur le moment de rencontre avec la mère manquante, atteinte dans sa puissance, somme toute, désirante. Ces moments sont décrits comme une véritable bascule subjective, ce qui n’est pas sans rapport avec l’expression classique de Freud quand il dit que la véritable castration c’est la castration de la mère, comme moment mythique crucial et structurant dans l’histoire du sujet. Autrement dit, il lui manque quelque chose. Ce qui chez Freud est décrit comme image du manque de pénis, sera repris par Lacan comme défaillance dans la puissance. Il manque quelque chose à la mère, ergo, elle est désirante. Le manque est associé par Lacan au désir, chez la mère, chez l’Autre. Elle n’est pas toute-puissante parce qu’elle ne se suffit pas à elle même. Voir ici la mère mythique comme contenant de tous les objets, qui caractérise la théorie de la théorie de Melanie Klein. Alors que ce qui se dégage comme essentiel serait plutôt son incomplétude. Et dire incomplétude ne laisserait-il pas laisser se profiler la « pas toute » ?

Permettez moi encore une digression sur l’enseignement de Lacan des années plus tard : en revoyant sa théorie avec le noeud borroméen il remet en place l’imaginaire par rapport à l’amour. Non pas l’hainemoration, dont l’orthographe dit bien l’enjeu spéculaire d’amour et de haine dans le rapport narcissique. Avec le noeud, il introduira l’imaginaire comme moyen (le rond moyen du noeud) dans l’amour. Cette notion méritera qu’on s’y attelle un jour.
Si j’en parle c’est pour vérifier en quelque sorte l’axe qui semble se dégager, un fil de pensée dans ce séminaire à l’étude.

Je sais que ce faisant je m’écarte de ce qui a toujours été ma méthode de lecture des séminaires, où il m’a toujours semblé nécessaire de suivre le développement de la pensée de Lacan, comme une sorte de work in progress, sans m’avancer sur ce qu’il aurait dit plus tard.
Vous voyez, ici je fais exception et je vais voir dire pourquoi.

Je lis dans ce séminaire une sorte de colonne vertébrale dans ce passage de la mère toute-puissante, concept largement développé dans ces séminaires, à celui bien plus tardif de manque dans l’Autre.

Je vous propose alors un lecture rapide de la leçon 4 du 12 décembre, où Lacan pose la mise en place de la mère toute-puissante. Il est question de la période ou l’étape que Lacan appelle « primordiale », comme je vous le disais tout à l’heure.
La difficulté de cette articulation est son apparente étagement temporel. Ne perdons pas de vue qu’il s‘agit de moments structuraux et je vais essayer d’en dire quelques mots.
Vous verrez qu’à chaque moment il s’agit de saisir ce qu’il en est des conséquences sur l’appareil psychique des fixations possibles.

Nous sommes dans une étape préœdipienne, reconstruite dans l’après-coup.

Pour résumer, on peut dire que tout démarre avec le cri du nourrisson. Il instaure avec son cri un appel à la mère, à celui en tout cas qui le prend en charge. (Soyons modernes)
L’appel et la réponse ainsi induite met en place une alternance présence -absence, véritable ébauche d’un système symbolique.
Il y a un objet réel, qui n’est pas nécessairement perçu par le bébé comme un objet. Il instaure par contre une périodicité avant que le sujet puisse distinguer ce qui deviendra plus tard le moi et le non-moi.
Il n’y a pas encore de constitution de l’autre, pour le bébé. Mais l’Autre est là.
La mère est autre chose que l’objet réel primitif.
«  le couplage présence absence est articulé précocement par l’enfant. Il connote la première constitution de l’agent de la frustration. La scansion de cet appel nous donne l’amorce de l’ordre symbolique où va s’articuler une relation réelle avec la relation symbolique. Ceci à partir des séquences groupées des plus et des moins où il y a virtuellement l’origine, la naissance, la possibilité, et la condition fondamentale de l’ordre symbolique. L’agent symbolique est là mais il n’est pas perçu.
« Un moment de virage a lieu quand cette relation primordiale à l’objet réel s’ouvre vers une relation plus complexe, y introduisant une dialectique. Si la mère ne répond plus, elle sort de la structuration symbolique du Fort-Da (appelée quand absente, rejetée quand présente, par une vocalise) pour devenir réelle. Nous l’avons dégagée de l’objet réel qui est l’objet de satisfaction de l’enfant. Elle ne réponds plus qu’à son gré. Elle devient quelque chose qui est l’amorce de la structuration de toute la réalité pour la suite. Elle devient une puissance. A partir du moment où la mère devient une puissance et ce sera dorénavant d’elle que va dépendre de la manière la plus manifestée l’accès à l’objet (jusque là ils étaient simplement des objets de satisfaction qui marquaient l’alternance). A partir de ce moment la nature de l’objet aussi va changer. Il va devenir objet de don qui dépend de l’objet qui est en fait l’agent réel qu’est devenue la puissance maternelle.
A partir de ce moment l’objet sera marqué de la valeur de cette puissance qui peut ne pas répondre. La position se renverse : la mère est devenue réelle et l’objet devient symbolique.
A partir de ce moment l’objet aura deux ordres de propriétés satisfaisantes: d’une part, il satisfait un besoin, d’autre part, il symbolise la puissance favorable.
Il y aurait beaucoup de choses à dire sur cette « puissance favorable » maternelle, ou plutôt originaire… dont un don, fut-ce de rien, comble le sujet en devenir…

C’est la mère qui est toute-puissante, ce n’est pas l’enfant. Lacan y insiste.
« C’est un moment décisif. Le passage de la mère à la réalité à partir d’une symbolisation tout à fait archaïque » (page 125) C’est le moment où la mère peut donner n’importe quoi.
Ce n’est pas de la toute-puissance de l’enfant qu’il s’agit. Ce qui est important ce sont les déceptions, les carences touchant à la toute-puissance maternelle. (126)
(on est loin de l’idée de traumatisme dû à la frustration…)
La mère passe donc de la première connotation présence-absence à quelque chose qui détient tout ce dont le sujet peut avoir besoin (ou pas). Tous ce que la mère détient devient symbolique à partir du moment où cela dépend de sa puissance.

C’est à remarquer qu’ici Lacan change de discours. Ce n’est pas rien de changer le fil d’une idée qui se déploie. Il va reprendre les choses à partir d’un autre angle. Et ce n’est pas n’importe lequel. Soulignons donc que c’est sur ce point où la mère toute-puissante devient un tout contenant tous les objets (si l’on reprend l’idée kleinienne), ceux décrits plus haut : ceux qui satisfont le besoin, et les riens qui sont le don.

Le nouveau départ démarre avec un paragraphe où il cite Freud : il revient à ses sources. Il y a quelque chose dans le monde des objets qui a une fonction paradoxalement décisive, le phallus. Autrement dit, l’image du pénis en érection.

Je dis changement du discours avec « l’introduction du phallus » dans son discours. Il introduit là un élément nouveau qui lui permet de faire le point sur la subjectivité de la mère. La mère en tant que femme. Curieux déplacement. Lacan arrive à la mise en place de la toute-puissance maternelle comme relevant d’un mécanisme quasi automatique. Mais à ce point il a besoin d’introduire l’existence dans le discours social de l’importance décisive de cet objet imaginaire chez « les membres de l’humanité auxquels il manque », la femme. L’homme du coup est ensuite défini comme celui qui peut s’assurer d’en avoir la réalité et qui assure comme licite, comme permis l’usage.
L’introduction du phallus ici permet de situer le rapport le plus étroit de la relation d’une femme, la mère avec son enfant.
L’enfant devient à son tour objet de satisfaction pour elle - il n’était pas question au début de la leçon d’une quelconque satisfaction de l’agent, la mère. La mère qui était un objet pour le bébé, puis un agent. Pour avancer il faut donc prendre en compte la mère en tant que faisant partie de la moitié sexuée des membres de l’humanité, comme femme.
L’enfant calme plus ou moins bien ce besoin du phallus chez elle.
Ceci a des conséquences. L’enfant peut se croire aimé pour lui-même. Mais ceci résulte en quelque sorte d’une diplopie. L’image du phallus pour la mère n’est pas complètement ramenée à l’image de l’enfant. (Enfin, elle ne devrait pas, nuance à ajouter par rapport au social contemporain !)
L’objet primordial tant désiré est doublé
- par le besoin d’une saturation imaginaire et
- par ce qui peut y avoir comme relation réelle instinctuelle à un niveau mythique avec l’enfant. Mais quelque chose reste irréductible.

L’enfant en tant que réel symbolise l’image (voir ici le noeud tel qu’il se produit chez la mère))
Il est important que l’enfant en tant que réel pour la mère prenne la fonction symbolique de son besoin imaginaire à elle.
Ces phrases sont certes complexes, voyez à l’oeuvre déjà une logique ternaire RSI. Et une sorte de retournement : L’être réel maintenant c’est l’enfant, mais il doit être symboliquement quelque chose qui répond à son besoin à elle…
(ce n’est plus le besoin propre à l’enfant, il doit par ailleurs devenir lui-même un symbole, un don…)

J’ajouterai qu’il aura sa place dans ce qui manque à sa mère, mais il devra faire la part des choses.

Ayant posé la place du phallus, Lacan revient ensuite à la perspective à partir de l’enfant, là où il l’avait laissé, face à la toute-puissance maternelle, autrement dit, de la mère comme réelle.
On bascule à la mère réelle, dont l’objet qu’elle peut donner devient symbolique, l’objet du don.

En ce moment, Lacan se pose quelques questions:
- A quel moment l’enfant accède à la structure RSI telle qu’elle se produit chez la mère ?
L’enfant devra assumer, symboliser la situation imaginaire et réelle de ce qu’est le phallus pour elle.
- A quel moment l’enfant peut-il se sentir dépossédé lui-même de quelque chose qu’il exige de la mère, en s’apercevant que ce n’est pas lui qui est aimé mais quelque chose d’autre qui est une certaine image ?

Ceci comporte un difficulté à ne pas oublier : cette image phallique, l’enfant la réalise sur lui-même, dans toute la dimension nécessaire du narcissisme. Il suffit de penser à la fascination produite par l’enfant érigé faisant ses premiers pas, pour ne donner qu’un exemple parmi d’autres de l’homo erectus.

La dernière question introduit la différence des sexes.

Récapitulons:
- au début: un archaïque primordial, absence-présence. Une suite de plus et de moins. Un premier symbolique
- Puis, se détache un objet réel ou plutôt l’être réel de la mère qui occupait auparavant la place de l’agent symbolique pas nécessairement perçu en tant que tel.
- De ceci découle, que l’objet réel du départ devient symbolique, l’objet de don.

Ici apparait le changement de discours, dans le sens où Lacan introduit « les membres de l’humanité » qu’on peut entendre comme ce qui entoure ce qui jusqu’alors il présentait comme une dyade mère-enfant. Le phallus est présent dans le lien social comme ce qui distribue séparément les hommes et les femmes. Et de là, l’apparition de la mère comme femme, marquée dans sa subjectivité par le manque du phallus.

Lacan décrit alors en premier lieu le déroulement des choses dans la perspective de l’enfant. Puis, il introduit les coordonnées qui régissent la subjectivité de la mère comme femme, et par conséquence, l’introduction du désir chez la mère, à partir du manque.

La conséquence logique de ce processus serait l’apparition du narcissisme pour le petit dans le « se croire aimé » dans une identification au phallus désiré par la mère. Un épreuve se présente ici : ce qui est aimé c’est quelque chose au-delà de lui-même, ce qui ni lui ni elle n’ont : la dépossession. Ce n’est pas la possession de l’objet phallique réel. C’est le symbole qui en découle qui a ses caractéristiques, comme l’ordre symbolique lui-même, d’être décevant.
Le caractère décevant du symbolique, évoqué par Lacan, qui renvoie au manque, n’est-il pas la « symbolisation » proposée par Lacan à la castration de la mère chez Freud ?


« Dans quelle mesure la notion que la mère manque de ce phallus, que la mère est désirante tout court, c’est-à-dire atteinte dans sa puissance, est-elle quelque chose qui pour le sujet peut être, va être plus décisif que tout ? »

Vous voyez que ce qui est plus décisif que tout, nous dit Lacan, c’est la notion du manque chez la mère, ce qui l’atteint dans la croyance qu’elle est toute-puissante.

Le cas de phobie de la petite fille qui s’ensuit reprend cette idée.
« C’est quand elle voit sa mère sous une forme débile, appuyée sur un baton, malade, fatiguée, qu’éclate la phobie. »
« Ce qui se pose comme antécédent de la phobie ce ne sont pas les frustrations, ni la perception de la différence des sexes, qu’en sais je. C’est en tant que la mère, elle, manque le phallus qui a rendu la phobie nécessaire. »(page 133)
Le remariage de la mère rééquilibre la situation : un élément symbolique au-delà de la puissance ou impuissance de la mère, le père, à proprement parler comme dégageant lui-même de ses relations avec la mère la notion de puissance permet à l’enfant de traverser la crise grave où elle était entrée devant impuissance maternelle.

« Le père est là, nous dit Lacan à propos de cette fillette. Et il suffit à maintenir entre les trois termes de la relation mère-enfant-phallus, le schéma dont je vous parlais au début, l’écart suffisant pour que le sujet n’ait à donner de soi, à y mettre du sien d’aucune façon, pour maintenir l’écart. » Pour qu’il n’ait pas à payer de sa personne.

Ce paragraphe est une vrai fulgurance qui montre l’intuition qui mènera Lacan des années plus tard au noeud borroméen.

Je pourrais m’arrêter là, mais curieusement à la leçon suivante, du 19 décembre, cette fonction du père sera mise à l’épreuve, et l’homme, en quelque sorte sera amené à se mouiller, dans le couple cette fois.
« La sortie de l’Oedipe constitue dans le plan symbolique une sorte de pacte, de droit au phallus. Une identification virile s’établit pour l’enfant, ce qui est au fondement d’une relation oedipienne normative. »

C’est en reprenant les deux types de relation à l’objet de la théorie freudienne, relation narcissique et relation anaclitique, qu’il décrit les deux manières pour un homme de s’y prendre dans sa relation avec une femme.
Dans la relation narcissique, il a besoin d’aimer, mais méconnaît jusqu’à un certain point autre. Il aime l’image de lui-même, il cherche son moi et il le trouve dans l’autre personne.
En revanche, la relation anaclitique s’étaye sur certaines modèles de la première enfance. Elle implique pour l’homme une identification à sa partenaire dans tout ce que ceci comporte de manque. Son phallus à lui serait ainsi l’enjeu du don de sa part vis à vis de l’assomption de la castration de sa mère proposant ainsi une transcendance de la frustration ou du manque d’objet.

A ce moment du séminaire, la relation archaïque est amenée à disparaître sous l’effet de l’action du père. Autrement, la permanence de la relation imaginaire voue à la perversion, aussi, et fut-elle transitoire, si dans le transfert l’analyste se situe lui-même dans l’axe imaginaire.

Je reviens donc à ma question.

Le 6 mars, Lacan revient-il sur l’efficacité de la fonction du père. Fonctionne-t-elle à 100%?

Ne voyons nous pas ici ce que nous apprenons dans l’enseignement de Melman que la père consacre une moitié de l’humanité dans son existence mais que pour l’autre, il ne peut que consacrer la maternité mais non pas la féminité ?

Le leçon 12 semble introduire la question du manque dans l’Autre, et on aimerai bien voir dans cet imaginaire originaire là ce qui relèverait de la J(A) dans le noeud borroméen, au croisement de l’imaginaire et du symbolique, comme relevant du féminin. Par ailleurs, dans le séminaires proprement topologiques, l’amour sera associé au rond de l’imaginaire comme moyen, moyen imaginaire de nouer le désir (symbolique) et réel de la Jouissance…

Mais ne perdons pas de vue la question de l’amour dans son rapport au primordial ainsi introduite.

La prochaine fois je vais vous proposer une lecture commentée des débats entre Charles Melman et Marcel Gauchet, publiés sous le titre « La maladie d’amour ».