Mathinées lacaniennes
Un effet de sens réel, texte de Charles Melman
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Un effet de sens réel
Charles Melman
Trimestre psychanalytique, N° 1, 1989, R.S.I.
Je voudrais d'abord remercier chaleureusement ceux qui ont bien voulu s'exposer ainsi, en première ligne, au sujet de ce séminaire. S'ils l'ont fait, c'est à leur propre souhait, leur propre demande, donc ils en ont pris le risque volontairement et sans doute est-ce parce qu'ils ont perçu chez les "anciens" de l'Association, une certaine difficulté, une certaine répugnance à aborder ces thèmes sur lesquels Lacan a passé les dernières années de son travail. Ces risques qu'ils ont pris sont instructifs pour nous tous et nous donnent sûrement l'envie de poursuivre, de nous remettre à la lecture de ce séminaire.
Les difficultés du nœud sont nombreuses, je ne vais pas les reprendre. Il est certain que l'une d'elles tient probablement au fait que, finalement, nous n'attendons pas grand chose de ce que nous sommes amenés à voir. C'est même très énigmatique. Notre vue est sans doute, d'une certaine façon, habituée de telle sorte que nous ne voyons..., même lorsqu'il s'agit de tableaux, notre vue ne s'attend plus qu'à rencontrer ce qu'elle connaît, ce qu'elle sait déjà. Il existe là une certaine familiarité avec ce qui peut-être vu, et où, à la limite, on n'aurait pas à lui accorder une importance particulière. Il est même étrange que l'on puisse aller vérifier ce que l'on a parfaitement à voir sur place. Par exemple dans une ville : ce que l'on a pu imaginer ou voir sur des tableaux. Par exemple, le voyage de Rome pour Freud, il n'y a pas lieu de s'interroger sur sa phobie, mais de se demander ce que son expérience de Rome lui a apporté par rapport à la vue très précise et documentée qu'il en avait avant d'y être allé et qui n'était pas seulement une vue onirique. À la lecture du voyage en Italie, on découvre ceci d'extrêmement drôle, à savoir que sans cesse il renvoie ses sœurs à cette remarque : « Vous savez, de cela, il y a des gravures sur cuivre dont vous avez parfaitement connaissance, alors je ne vois pas pourquoi je vous en parlerais ». Il y a lieu de se demander pourquoi il y est allé.
Ce qui se présente provisoirement ici comme une énigme n'est amené que pour signaler que, sans doute, nous n'attendons pas de ce que nous pourrions voir, je ne dis pas d'entendre, une remise en question de notre façon de voir, et encore bien plus de notre façon de penser. N'est-ce pas là un des motifs de notre difficulté à lire ce séminaire, puisque le lire, c'est être renvoyé sans cesse à des figures, lesquelles, de plus, sont à manipuler ?
Je me contenterai encore d'évoquer une autre raison : lorsque nous avons entendu Lacan penser ces histoires de nœud, brusquement, il s'est passé que sa parole ne renvoyait plus à son dire, c'est-à-dire à celui qui était présent, pourvu du nom de Lacan, et qui était l'émetteur d'un discours - en effet, avec ces nœuds, son propos n'était plus que la conséquence d'une figure - et à cet Un que nous étions légitimement en droit de lui attribuer, comme à chacun, à cet Un, support de ce dire que nous aimions. Avec ce nœud , il venait au contraire nous signifier que ce qui le faisait parler, c'était une figure, et que lui en devenait quasiment le commentateur. Peut-être y a-t-il chez chacun d'entre nous une répugnance à nous en remettre, en ce qui concerne l'organisateur de notre destin, à ce qui serait non pas le Verbe - car nous adorons nous en remettre au Verbe avec lequel nous sommes dans la familiarité, voire au symbole -, mais à ce que notre destin serait scellé par une figure, laquelle ne serait commandée par rien d'autre que par des règles topologiques, de géométrie.
Assurément, avec ce nœud, et en particulier le nœud à trois, se découvre une façon de traiter le transfert, à savoir ce qui est au centre de ce séminaire, la question de notre rapport au Père, d'une façon radicale. On comprend qu'elle puisse, surtout auprès du psychanalyste pour qui le transfert au centre de la pratique maintient le caractère opératoire de cette pratique - entre autres, car il y aurait bien d'autres raisons -, nourrir sa répugnance et le faire reculer.
Comme nous le savons, dans les débats habituels entre psychanalystes, entre ceux qui accordent la prévalence à ce qui peut s'articuler à partir de l'inconscient du sujet, il importerait à chacun de s'en remettre à ce savoir qu'il ne sait pas lui-même mais qu'il véhicule, qui peut-être un savoir plus ou moins adroit, élaboré. Sans doute il n'y a pas les mêmes subtilités chez les uns et chez les autres quant à l'orientation qui peut-être prise, à la façon de se débrouiller dans la vie ; certains ont sûrement un inconscient plus délié, et finalement, tout ce que nous ferions de bien ou de mal, ce serait lui notre meilleur guide. Il est troublant de constater que chez Lacan lui-même, cette référence existe dans l'un de ses derniers séminaires, où il dit que ce qu'il a pu faire dans la vie, est, je n'ai plus son terme, son bout d'inconscient.
L'autre façon consiste à se référer aux dits systèmes théoriques qui n'ont droit à ce nom que dans la mesure où ils sont formalisés, c'est-à-dire apparentés à la science. On peut suivre dans le développement de la pensée lacanienne tout l'effort qui a été le sien pour faire entrer la psychanalyse dans le champ de la science. Il dit explicitement que là est son désir.
Comme cela a été esquissé dans les tentatives dont on a bien voulu nous faire part ici et qui sont remarquables, le problème est que l'écriture d'une suite symbolique, quelle qu'elle soit, forclôt, comme j'ai eu l'occasion de le souligner, le fait que ce qui en constitue la vérité n'est pas à chercher dans la consistance de la dite suite. Mais le problème, pour nous, dans cette suite symbolique par laquelle nous essayons de rendre compte scientifiquement de nos opérations, est de faire en sorte qu'elle tienne compte de ceci : il n'y a symbole-même que parce que nous sommes parlêtres, c'est-à-dire que nous avons rapport à la lettre, et les dites lettres que nous enfilons dans cet effort scientifique, n'ont de sens qu'à partir de ce dire « il y a », dire qu'il n'y a pas de rapport sexuel, fusse à chercher par la science, soit dans les lettres elles-mêmes et leur consécution logique, à chercher issue, remède, à résoudre ce Réel qui n'est pas écrit, tout comme l'Imaginaire d'ailleurs, qui donne consistance à la suite.
Comme l'a montré Lecuru avec beaucoup d'obligeance pour nous, on peut faire que le dit dise : il n'y a pas de rapport sexuel ; que ce dit vienne inscrire qu'il y a un troisième qui fait qu'entre un et deux ça ne va pas ; opération tout à fait intéressante, sauf qu'à venir inclure dans le dit, le dire, ce dire, néanmoins, elle ne lui fait pas sa place.
Le nœud tente de rendre compte d'une façon scientifique, puisque soumise à des règles topologiques, de ces trois dimensions que notre pratique nous révèle. Ce qui revient à ne plus chercher le salut dans le fait de s'en remettre à ce sujet de l'inconscient ; dire : on ne peut pas faire mieux, il convient de nous laisser mener par ce savoir que nous ne savons pas et qui nous guide ; ni non plus nous engager dans des recherches mathématiques non-orientées. L'intéressant, comme cela a été très bien rapporté tout à l'heure, est que Lacan cherchait dans la topologie. Car la difficulté est la suivante : il n'y a pas de rapport sexuel à cause de quoi ? Est-ce en raison de la lettre en tant que telle ? Ou est-ce du fait que nous en faisons un agencement qui est celui de notre symptôme, de notre malaise qui est propre à notre civilisation ? Est-ce un accident ou de l'ordre de la nécessité ? Est-ce du contingent ou de l'ordre du nécessaire ? Et Lacan, dans ce qu'on lui apportait sur le nœud , cherchait des choses très précises : ce qui venait répondre à ses questions. Mais, il est évident, et là notre difficulté prend un certain relief, qu'il les cherchait dans les figures topologiques, comme si ces figures-là pouvaient d'une certaine façon régler notre sort. Autrement dit, le problème n'est pas seulement d'associer les trois instances du S.I.R., mais de voir de quelle façon elles viennent retentir les unes sur les autres, ce dont le nouage essaie de rendre compte.
Sans doute est-ce de ma faute et de ce que j'ai pu avancer à propos du Nom-du-Père, que l'idée est venue que le rond à trois serait orphelin par rapport au nœud à quatre. Ce serait, me semble-t-il, une conception inexacte. Puisque le rond à trois implique, dit Lacan - sans que nous sachions très bien pourquoi ni comment -, un mode de nouage borroméen qui serait un effet du Nom-du-Père ; d'autre part, que les trois instances elles-mêmes fonctionnent comme Nom-du-Père. La question serait donc pour nous de savoir quelle est la différence avec le rond quatrième ?
Très succinctement je me permettrais de rappeler ceci : qu'appelons-nous Père ? À quoi allons-nous donner le nom de Père ? Il semblerait, si nous ne nous trompons pas trop, que nous appelons Père, ce qui fonctionne comme Urverdrängt, et nous pouvons attribuer à cet Urverdrängt des noms très différents, dont celui de Père. Ceci comporte comme nous l'éprouvons, un certain nombre de conséquences : non pas que cet Urverdrängt ne fasse retour dans le champ du Symbolique, puisqu'il ne cesse de le faire ; même si le Nom de Dieu est imprononçable, il reste que les lettres qui le constituent ne sont pas retranchées de l'alphabet. Il est possible de s'imaginer qu'il y aurait là un nom secret, on développe le fantasme de ce nom secret, c'est-à-dire, de ce qui pourrait revenir dans le champ du Symbolique. Cependant, le propre de la langue est que la lettre tombe dans la poubelle pour ne cesser d'en ressortir, ce qui est appelé par Lacan poubellification. Néanmoins, il y a là quelque chose qui fonctionne pour nous comme étant de l'Urverdrängt, isolé comme ayant une consistance "Une", et qui a cet effet, entre autres, à savoir notre amour de la castration. Voilà de l'élémentaire, des choses qui vous sont familières puisqu'il semblerait bien que non seulement cet Un se sustente grâce à la castration, mais que ce soit encore ce qu'il nous demande.
Mais après ce bref retour pour en revenir là, au nœud, il y a plus : à partir de cet Un, nous fondons les uns et les autres notre ex-sistence. Je veux dire que dans le trou, il y a cet Un grâce auquel notre ex-sistence trouve le moyen de ne plus errer ; elle y trouve son support et ce dont elle s'abrite, se dresse, se réclame, ce dont elle fait son idéal comme son logis, soit son lieu. Et sans doute, du fait de la présence de cet Un, de cet Une, comme vous voudrez, dans ce trou, et du fait que notre ex-sistence s'en supporte, la filiation se trouve topologiquement argumentée.
Il est assez stupéfiant, voyez les journaux, que lorsque la liberté de parole est donnée à des foules, c'est-à-dire quand on dit : « Allez-y maintenant, pour ce qui est de votre sujet, au lieu d'avoir à toujours la boucler, d'être bâillonné, d'être obligé de parler comme les instances officielles ; à présent, allez-y, vous êtes libres de parler », cette liberté de parole, tels que nous sommes faits, consiste immédiatement à faire quoi ? À aller se réclamer, à vouloir faire entendre ce qui supporte cette ex-sistence du sujet, auquel on accorde le droit de se faire entendre, c'est-à-dire la référence au Père. Et cela dans des générations chez qui l'on pouvait supposer que cela leur était passé, ou qu'elles l'avaient oublié. Sans doute notre dépendance à l'égard du langage est telle que donner la liberté de parole - ce qui nous permettrait de méditer là-dessus -, c'est immédiatement l'enfermer dans ce type d'identification, c'est-à-dire, d'aliénation majeure.
Le rond à quatre, et je ne suis pas en train d'en discuter la validité, est-ce mieux ou est-ce plus mal ? Lacan s'empresse de dire que ce n'est pas un progrès. Il est clair que le Nom-du-Père, tel qu'il est figuré dans le rond quatrième, n'est pas seulement ce qui assure la consistance des ex-sistences, il est précisément le lacet qui passe dans toutes les existences et qui leur donne la consistance. Car après tout, si on suit Lacan, on pourrait penser que la psychose est cet état où les ex-sistences, ce qui ex-siste, la Jɸ, le désir, le sens, la J(A), par exemple, se trouvent se balader sans consistance. Avec ce trajet que Lacan lui donne dans le rond quatrième, nous voyons que le Nom-du-Père est bien là ce qui assure la consistance des ex-sistences. Il est vrai que ça marche, mais avec cette conséquence, évoquée il y a un instant, de l'erre à laquelle notre ex-sistence est livrée. Nous avons là l'arrimage qui nous permet de nous trouver dans ce que nous supposons être notre logis, même si ce logis est celui du malaise, je veux dire du symptôme. Ce à quoi Lacan répond en montrant que dans le nœud à trois, cette ex-sistence peut venir à se serrer, que l'erre peut se résoudre par un serrage entre ces consistances qu'il aborde.
Comme cela a été souligné au cours de ces Journées, cette question du rond quatrième, est également celle du plus-un. En effet, qu'est-ce qui réunit une collectivité ? Ce qui réunit une collectivité est ordinairement l'au-moins-un, soit la référence à ce Père dont je parlais il y a un instant. Lorsque Lacan proposait dans les cartels qu'il y ait un plus-un, un en plus, il laisse les cartels et nous-mêmes dans une singulière ambiguïté. Car cet un-en-plus va-t-il être cet au-moins-un que vous comptez en plus, comme il se doit ? Si vous comptez quatre, il faut que vous comptiez un-en-plus, on a toujours fondant ce quatre un-en-plus, il faut compter le zéro à partir duquel ce quatre est organisé. Mais vous fondez le cartel sur ce qu'il en est du transfert. Cet un-en-plus peut par conséquent être aussi ce rond dans la chaîne borroméenne, ce rond qui permet à la chaîne borroméenne de tenir. C'est un rond parmi les autres, et d'ailleurs dans le nœud à trois chacun fonctionne comme en-plus, puisque c'est par lui que la consistance se trouve établie. Donc, comme vous le voyez, la manipulation de la référence que nous sommes en mesure de faire à cet un-en-plus est tout à fait différente selon la topologie dont on se réclame.
Je conclurai là-dessus : qu'est-ce qu'une interprétation dont l'effet de sens serait Réel ? Une interprétation sans énonciation, un énoncé - écoutez bien, cela paraît fabuleux -, un énoncé qui viendrait du Réel, sans énonciation. Autrement dit, cela ne viendrait pas du sujet en face de vous, mais ce serait la réponse même du réel. La question posée tout à l'heure était celle reprise chez Lacan, de l'écart possible de la métaphore. Cette question peut paraître bizarre de la part de Lacan, d'autant qu'il va la chercher chez les linguistes, car on serait tenté de dire que le propre de la métaphore consiste à lever la dimension de l'écart. Le champ de la métaphore n'est pas celui de la métonymie, puisque n'importe quel signifiant peut venir à la place de n'importe quel autre. C'est-à-dire qu'à propos du Réel, nous serions assurés que, grâce à la métaphore, n'importe quel signifiant venant à la place de n'importe quel autre, nous nous y retrouverions toujours ; mais toujours dans quoi ?
Je reprends les exemples canoniques : « L'amour est un caillou riant au soleil », j'aurais pu dire : chou, hibou, genou... Qu'est-ce qui fait l'écart ici ? Je peux mettre « l'amour est un... » ce que vous voudrez ! Je suis tranquille, je fais de la poésie ! C'est plus ou moins poétique... pour des raisons qu'il serait intéressant de déterminer, mais je peux quand même y aller : « L'amour est un chou qui ruisselle sous la pluie » ! Ah ! ce n'est pas très poétique... (rires), c'est moins réussi que l'autre... Je suis sûr de m'y retrouver dans la jouissance phallique. Je veux dire que le propre de la métaphore..., bien que, curieusement, nous voilà embarrassés : fait-elle sens ou non-sens ? Qu'en pensez-vous ? Il est clair qu'une interprétation qui aurait effet de Réel ne pourrait justement que mettre en cause cette assurance propre à la métaphore, en nous rappelant que l'Un de sens est un effet de l'Imaginaire... Puisque sans cesse ces diverses catégories que nous avons à manier... mais à manier à partir d'un impossible, ou que c'est à cause d'elles qu'un impossible se trouve donné à entendre, savoir tout autre chose que ce que les uns et les autres, y compris moi-même, essayons maintenant de donner à entendre ; ce que nous essayons est de bêtement donner du sens. J'essaie de donner du sens à une entreprise où Lacan s'est gardé d'en donner, c'est pourquoi ça nous paraît obscur. Tout à l'heure, quelqu'un qui a contribué à travailler ces nœud s nous a dit qu'il ne savait pas très bien finalement ce que Lacan venait chercher là-dedans. En vous donnant le sens de ce qu'il venait chercher par là, je ne crois pas me tromper. Si Lacan ne l'a pas donné explicitement lui-même, c'est que ce n'est pas cela qui lui paraissait essentiel, même si nous, pour nous orienter, avons besoin de le rappeler.
Une interprétation dont l'effet de sens serait réel... Je terminerai par une anecdote qui a paru sûrement pénible ; elle se rapporte à une expérience analytique sûrement pénible pour ceux qui y furent soumis : un modèle d'interprétation lacanienne ! Un bouquin qui vient de paraître, et qui s'appelle... je ne sais plus combien de bons mots rapportés à Lacan. Je ne crois pas qu'y figure celui-là, alors ce sera le 133ème, qui se situe dans les derniers temps de son exercice. Il est arrivé à Lacan de filer des claques, ce qui évidemment provoquait... Qu'est-ce que ça provoquait ?
- Dans la salle : « ...des départs ! ».
- Non ! Ah non ! Évidemment, il y a toujours des exceptions ! Cela provoquait de l'émotion ! Et donc de la rougeur. C'était l'époque où il avait déjà une certaine peine à articuler. Nous ne savons pas dans quelle mesure cette difficulté d'articulation était d'une certaine façon, en dehors de toutes conditions organiques, liée à ce nœud et à ce que j'évoquais tout à l'heure : le fait que la référence n'était plus prise qu'à l'endroit d'une figure. Lorsque vous lisez ses derniers séminaires, vous avez la surprise de constater une étrangeté du propos, puisqu'il ne s'agit de plus rien que d'un texte désignatif. Je ne sais pas comment l'appeler, ça doit avoir un nom... C'est-à-dire, un texte qui ne faisait que dire : « là vous voyez, ça passe dessus, là ça passe dessous, et puis là... et puis là ». De temps en temps, pour mettre un petit peu de poivre dans l'affaire, parce qu'il en fallait, alors une vague évocation clinique qui semblait incertaine. Le texte devenait tout à fait étrange. D'ailleurs il passait son temps au tableau, le dos tourné à la salle, à s'expliquer avec des figures.
Alors, en tout cas, il avait ce type d'intervention qui était ces claques. Ce qui est étrange, - je l'ai évoqué il y a très longtemps dans un petit cercle - c'est que cela n'ait jamais été entendu comme une interprétation.
- Dans la salle : « Si! ».
- Ah bon ! Je croyais avoir trouvé quelque chose... Parce que c'était sûrement une façon de faire entendre quelque chose du genre : « Vous me pensez déjà claquant... ».
- Murmures dans la salle.
- Mais oui, mais oui, « Je suis déjà claquant ». Vous protestez ! J'aurais envie de dire comme vous, néanmoins, venant de lui, c'est rarement quelconque ; c'était assurément une interprétation sans énonciation, quelque chose à déchiffrer ; je veux bien le lui supposer, c'est-à-dire, ne lui supposer ni la maladie ni la colère, car il a gardé un long moment une lucidité et une écoute, celles que nous lui connaissions. Cette interprétation..., va-t-on dire que celle-là donnait lieu à un effet de sens réel ? En tout cas, si elle devait avoir un effet de sens réel, ce ne pourrait être que bien au-delà de ceux qu'elle venait ainsi mortifier. Elle pourrait avoir un effet de sens pour chacun d'entre nous, parce qu'il le dit : dans ce rond, pour soutenir l'ex-sistence, nous y mettons aussi la mort. Il est bien évident qu'elle nous soutient de la même façon que cette Une constituée par le Père et on aurait presque envie de dire, sans distinction. Il n'y en a pas deux là, la mort et lui, c'est le même rond. Lorsqu'il y aura ces Journées sur le suicide, c'est sans doute, l'un des thèmes qui méritera d'être abordé.
Donc, pour toujours faire crédit à Lacan, si cela devait être une interprétation ayant effet de sens réel, peut-être serait-ce une manière de nous interroger sur la façon dont les uns et les autres, nous entendons, ne disons plus « soutenir » notre ex-sistence, ni la laisser errer, pourquoi est-ce que notre ex-sistence devrait-elle être consacrée à l'erre ? Mais à la façon dont nous serions en mesure, peut-être d'une façon pas trop maladroite, de la coincer.
Il y aurait encore beaucoup de choses à dire sur ces Journées, malgré les difficultés et nos hésitations, malgré le fait que nous essayons inévitablement de faire entrer le rond dans les catégories qui nous sont familières. On essaie d'en rendre compte avec les paramètres qui nous sont habituels. Le difficile est évidemment de se rompre à une façon autre de penser, inaugurée par Lacan. Je crois que l'effort fait par ceux qui ont bien voulu s'y risquer au cours de ces Journées, nous permet de le penser et peut-être de l'entamer.