Mathinées lacaniennes
Sur la Verneinung, exposé de Virginia Hasenbalg
Sur la Verneinung
Il y a des textes de Freud que j’affectionne en particulier, ceux qui me semblent « fondateurs », et dont j’ai le sentiment de n’avoir pas fini d’en faire le tour.
Rappelez vous, on a consacré un peu de temps à L’au-dela du principe du plaisir, et pourtant, je suis restée sur ma faim en ce qui concerne la pulsion de mort. La Verneinung, qui en est postérieur, reprend la question. Je m’y suis attelée avec difficulté.
Ceci me rappelle la manière dont la neurologie était enseignée à l’Ecole de Médecine, il y a très longtemps et très loin d’ici. Autant en anatomie, qu’en histologie et physiologie on laissait la neuro pour la fin, et la fin de l’année arrivait sans qu’on y consacre tout le temps qui méritait ce domaine si important.
Il n’y a pas que la paresse, ou la difficulté. On a droit aussi à résister à concevoir correctement ce qu’il en est de la pulsion de mort dont je vais essayer de vous dire un mot.
Situons d’abord ce texte:
La Verneinung date de 1925 et il a été traduit, à en croire la version du coq Héron, au moins 17 fois…
Il est présenté par Jean Hyppolite au séminaire de Lacan. Cette présentation ainsi qu’une introduction et une réponse de Lacan lui-même ont été publiés dans les Ecrits.
Lacan souligne la pertinence du commentaire d’Hyppolite ainsi que celle, bien sûr, du texte lui même de la Verneinung dont il se sert pour revenir au principes freudiens renouvelés par la deuxième topique.
Il y a une dérive dans la façon de concevoir la psychanalyse qui ne tenait pas compte, avant Lacan, de la coupure introduite par Freud avec la deuxième topique.
« La résistance, disait Freud avant l’élaboration de la nouvelle topique, est essentiellement un phénomène du Moi », a dit Lacan.
Rappelons nous que la deuxième topique introduit des éléments nouveaux pour concevoir ce qu’il en est de la résistance. Ce n’est plus le principe du plaisir qui régit l’appareil psychique, mais l’automatisme de répétition, le refoulé insiste en cherchant la voie d’une symbolisation, et c’est cette insistance que nous avons à repérer.
(Plus on s’approche de ce qui est refoulé, plus on résiste)
Le personnage principal ce n’est plus un Moi qui résiste mais un Inconscient qui insiste et qui est donc à lire entre les lignes.
On peut dire en passant que l’évolution de la société actuelle semble en quelque sorte renouveler ce que Lacan dénonçait déjà dans son introduction au commentaire de Jean Hyppolite sur la Verneinung. On ne peut pas définir la subjectivité à partir de l’axe imaginaire a’-a. Et nous savons que toute définition du sujet à partir de l’étude du comportement évacue l’existence de l’inconscient.
Voyez dans cette conception de l’analyse un positionnement de l’analyste dans un face à face imaginaire. On réduit le sujet au Moi qui est dit résister, se défendre de la vérité que le soi disant analyste pense incarner. Et Lacan ne manquera pas de faire allusion à la théorie de la guerre de Clausewitz.
L’analyste qui se place dans le dit axe, ne peut que fixer la fin de la cure que par l’incorporation de son Moi. (voyez ici l’allusion à la Verneinung, dans l’incorporation du bon objet)
Il s’agit, à mon avis de saisir que ce face à face ne peut qu’aboutir à l’agressivité, il est bordé par l’agressivité propre à la spécularité : l’autre a pris ma place.
Une phrase de Lacan mérite ici d’être rappelée:
Aux confins où la parole se démet, commence le domaine de la violence, et elle y règne déjà même sans qu’on la provoque.
Il y a donc des confins où la parole se démet, où elle quitte ses fonctions.
Quels sont ces confins où elle quitte ses fonctions, où elle n’opère plus, est-ce un endroit à situer en dehors de la symbolisation?
Rappelons encore que quand le pacte symbolique qui régit notre rapport à l’autre défaille, inexorablement c’est le rapport de force qui prévaut.
C’est le règne de la violence, ou pour reprendre le terme en question dans la pulsion de mort, la pulsion de destruction qui n’est identifiable que lorsqu’elle se présente isolée du principe du plaisir. Rappelez vous de la difficulté d’isoler ce qu’il en était de la pulsion de mort dans l’Au delà du principe du plaisir, puisqu’à chaque fois il y a avait une démonstration logique que la destruction, ou faire du mal pouvait aussi apporter un plus de plaisir. Et que la seule façon d’isoler la pulsion de mort était dans son désintrication avec la pulsion de vie, i.e. la psychose.
Or, dans la Verneinung, la pulsion de destruction serait nécessaire à une symbolisation que j’appellerai libératrice. Voici ce que dit Freud : l’étude du jugement nous ouvre peut-être pour la première fois à l’intelligence de l’existence d’une fonction intellectuelle à partir des motions pulsionnelles primaires. Le juger est la suite appropriée de ce qui, à l’origine a résulté du principe de plaisir : l’inclusion dans le moi ou l’exclusion hors du moi. L’affirmation - en tant que remplaçant de l’unification - fait partie de l’Eros, la dénégation - suite de l’expulsion - fait partie de la pulsion de destruction. L’accomplissement de la fonction de jugement est rendue possible du seul fait que la création du symbole de négation a permis au penser un premier degré d’indépendance à l’égard des succès du refoulement et, par là aussi, de la contrainte du principe du plaisir. (Paragraphe 8, avant dernier)
Revenons donc à la pulsion de mort qui devient identifiable lors du démêlage des pulsions sexuelles et pulsions de mort, produit par le retrait des composantes libidinales. Un endroit donc hors sexe? Hors représentation, hors signifiant?
Le lieu d’un réel hors symbolisation, un lieu où la parole se démet ?
Lacan nous dira: un réel retranché d’une symbolisation primordiale, y est déjà.
Mais que Lacan ne manquera d’évoquer son intersection avec le symbolique… Peut être même ce qui permet d’isoler comme un vide, page 392 E. Il semble bien que ce soit la béance d’un vide qui constitue le premier pas de ton son mouvement dialectique.
Bon. Revenons à l’axe imaginaire…
Je crois que l’enseignement de Lacan ne cesse d’insister sur la nécessité d’ajouter ce qu’il en est de ces lieux de l’Autre et du sujet, pour aborder ce qu’il en est d’une structure subjective. Le sujet à situer au delà de son Moi, déterminé par des signifiants refoulés dans l’inconscient dont l’accès est croisé par le jeu des miroirs imaginaires…
Il ne s’agit pas d’un Moi fort, mais d’un Moi aliéné dans ses captations imaginaires, un Moi de la méconnaissance qui le caractérise, et qui ne peut que se constituer dans un mouvement d’aliénation progressive.
Le moi dont nous parlons est absolument impossible à distinguer des captations imaginaires qui le constituent de pied en cap, dit Lacan.
Si l’on ne conçoit pas ce qui se trouve au-delà de cet axe imaginaire, le rapport au semblable risque de devenir un rapport de force.
La question de la mort, de la pulsion de mort est déjà présente dans le cas Signorelli.
Lors d’une discussion avec un collègue qui évoque que la vie n’a pas de sens sans la sexualité, Freud se trouve embarrassé : ce propos réveille en lui un sentiment de culpabilité provoqué par le suicide d’un patient impuissant. Cette mort entre en résonance comme la preuve même de la vérité de cet énoncé. Cet embarras produit un refoulement sous la forme d’un oubli de nom propre. Il bloque l’accès pour Freud au signifiant Signorelli, auteur d’un tableau qui se présente à son esprit mais qu’il n’arrive pas a nommer. (Rappelons que le rapprochement de la mort et de la sexualité constitue le sujet même des fresques de Signorelli à Orvieto). La particule Signor rappelle à juste titre la mort comme maître absolu.
Certes, Lacan et Freud soulignent que ce signifiant manquant était refoulé, renvoyant à son existence dans l’inconscient, pouvant être conçu, imaginé comme étant même son interlocuteur.
Lorsqu’il était question de la relation de l’homme et du médecin à la mort, soit au maître absolu, Herr, signor, Freud avait littéralement abandonné en son partenaire, retranché donc de soi, la moitié brisée de l’épée de la parole. (De la même façon qu’en tant qu’analystes on est porteur des lettres en souffrance de nos patients. On est le dépotoir des signifiants refoulés). (vous allez croire que c’est ma mère…)
La parole ici se démet ? Oui, mais pour se retrouver au lieu de l’Autre, fait de refoulement. On pourrait dire, ce n’est pas perdu. C’est une absence faite de présence. Il n’en dispose pas, mais il sait qu’il est quelque part.
Il n’est pas à sa place, pourrait on dire en rappelant la privation.
Or, Lacan avancera plus loin : la parole ici retranchée, pouvait elle ne pas s’éteindre devant l’être pour la mort?
Elle est retranchée, certes, mais elle renvoie au lieu de l’Autre.
Mais il y a un retranchement qu’on peut situer mythiquement à l’origine, avec le Lust Ich primitif. C’est l’Ausstossung de ce qui est mauvais, de ce qui ne reçoit pas la Bejahung. Ce retranchement renvoie à la constitution d’un lieu qui restera en dehors de la représentation. Cette Ausstossung constitue donc un lieu en dehors, le réel que Lacan décrit comme le lieu même de l’hallucination du doigt coupé, produit par la Verwerfung de la castration.
Comme vous le voyez, c’est different. Le dehors du refoulement reste symbolique. Celui de la Verwerfung, renvoie ou constitue même un réel.
(Permettez moi de dire en passant que le mot Verwerfung en tant que tel n’est pas dans le texte de la Verneinung, mais on trouve quand même celui de von sich werfen, jeter de soi.) (page 14 coq héron)
Le retranchement dans Signorelli se joue dans le rapport à l’Autre, lieu constitué par ce qui a reçu la bénédiction de la Bejahung.
Ce qui est rentré dans la représentation a le privilège de bénéficier d’une fonction dialectique.
C’est incroyable le nombre de fois où il est question de dialectique autant chez Hyppolite que chez Lacan. C’est pas étonnant, puisque Freud parle l’Aufhebung, mot allemand qui designe ce qu'il en est de la dialectique, pour parler d’une levée du refoulement permis par la dénégation.
Les traducteurs ont du mal à traduire ce terme. La Aufhebung du refoulement… La suppression ? La conservation? Plutôt la dialectique qui fait que le signifiant est là sans y être. Pas conscient, il est chez L’Autre …
D’un autre côté, Lacan nous dit que la mort nous apporte la question de ce qui nie le discours, la question est de savoir si ce n’est pas elle qui y introduit la négation. Ici, la mort entrerai en jeu, je suppose, avec l’Ausstossung originaire, ce qui ne peut pas être représenté, ou ce qui plutôt à l’origine n’est pas rentré dans la représentation.
Ce serait un processus antérieur logiquement à l’opération induite par la Bejahung qui met en place le représentation.
Car la négativité du discours en tant qu’elle y fait être ce qui n’est pas, nous renvoie à la question de savoir ce que le non-être, qui se manifeste dans l’ordre symbolique, doit à la réalité de la mort.
gloups.
Il y aurait donc deux façons d’imaginer le Réel.
Le sexe, qui donnera consistance au refoulement même, il produit du sens, le fait proliférer, sans qu’on puisse atteindre le concept qui le définisse.
Et la mort, dont on ne peut certes pas dire grand chose.
Il y a des années, Melman parlait de la différence entre un enfant élevé par ses parents et ses grand-parents. Et il ajoutait que le référent que enfant percevait dans le discours de parents était sexuel, le phallus qui oriente le sens sexuel de la chaîne. Mais ce qui demeure référent dans la chaine du discours chez les grand-parents, ce référent, ce dont on parle sans le nommer c’est un autre réel, la mort. Deux réels donc.
Une amie chère atteinte d’un maladie grave.
Je me demande comment l’accompagner, dans ce type de situation où je sais quelle sait que je sais qu’elle va mourir.
Pendant un certain temps je me suis repéré à partir d’une phrase de Lacan qui dit que la mort n’est que possible.
Par ailleurs se dire que la maladie ou la vieillesse imposent des priorités pour le départ est un faux calcul : ce n’est pas parce que l’autre est vieux ou malade qu’on est sûr qu’il partira le premier.
Mais quand le final approche, qui apparait l’agonie, qui veut dire combat, avec ce maître absolu qu’est la mort, quoi faire?
Alors je lui ai posé la question. On peut accompagner quelqu’un en silence, bien sûr. Mais je lui ai demandé, veux tu que je te parle?
Et elle m’a dit, oui, s’il te plait, parle.
Je ne sais pas si vous êtes sensibles a cela comme moi je l’ai été.
mais ça a été comme si elle me disait de reculer les confins, de ne pas laisser la parole se démettre. Que tant qu’il avait de la parole, il y a fait de la vie.
C’est ainsi en tout cas, avec cette histoire, que je pense qu’on peux concevoir ce qu'il en est de la pulsion de mort comme ce qui nie le discours, et qui du coup, serait apte à une symbolisation fondamentale de ce qui n’existe pas, comme revers de ce qui existe.
Il y aurait donc dans ce temps originel, un rejet de ce qui est mauvais et une incorporation de ce qui est bon, condition pour la représentation.
Ce qui est mauvais au départ restera un extérieur, réel à ce détail près que lorsque ce qui est ainsi rejeté est la castration ce sera de ce lieu même, hors représentation, que fera « retour » hors signifiant, et d’une façon halluciné, une image de la castration, qui laissera le sujet dans l’horreur.
Mais ce même mécanisme est celui qui, établissant le lieu de ce réel, pourra être tissé au symbolique dans une relation dialectique qui permet le jeu du refoulée supprimé et conservé décrit comme l’Aufhebung.